Le gaz, une solution partielle pour la Chine

Lundi 12 mai 2014

Article de China Analysis n°47

Auteurs : Jean-François Di Meglio

Tags : Sécurité énergétique - Chine

Cette série d’articles très récents est centrée sur le dilemme dont fait aujourd’hui état le débat énergétique chinois, qui peut se résumer à la difficulté d’introduire des énergies alternatives au charbon (sans parler même d’énergies nouvelles), alors que celui-ci reste abondant et bon marché – qu’il soit importé ou non – malgré les inconvénients majeurs que présente son utilisation.

Les analyses présentées ici introduisent par ailleurs des paramètres particulièrement intéressants et reflétant une fois de plus la complexité des débats internes en Chine : Certains auteurs1 s’expriment dans les médias chinois de façon plus modérée vis-à-vis des expériences occidentales et plus critique sur la voie chinoise de l’énergie qu’ils ne le feraient habituellement avec des interlocuteurs occidentaux. Par ailleurs, la question du petcoke, combustible de substitution nouvellement arrivé sur le marché chinois du fait de la déréglementation de l’importation des combustibles proches du charbon, et qui fait l’objet d’un forcing particulièrement appuyé des États-Unis, présenté comme bénéficiant d’un accueil trop favorable en Chine, est mise en évidence. La question du gaz est également abordée. Elle prend toute son acuité quand il s’agit de débattre des éventuels substituts au pétrole et au charbon. Celle-ci fait apparaître des opinions diamétralement opposées (et pas encore tranchées au plan stratégique et au niveau politique le plus élevé) à la fois en ce qui concerne le bon niveau de prix (trop élevés pour certains, comme les principaux acteurs de la pétrochimie, ou trop bas pour d’autres – ce serait en fait toute l’énergie qui serait trop bradée en Chine sur le marché intérieur), et en ce qui concerne la priorité à lui donner (importé par gazoduc, ou distribué par terminaux LNG ?). Pour finir, l’un des articles propose un certain nombre de mesures réellement iconoclastes qui s’attaqueraient directement aux grands monopoles du pétrole, qui ont conduit à la marginalisation actuelle du gaz et aux difficultés à promouvoir cette énergie.

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En Chine, la nécessité de changer de mix énergétique

Le premier article, « Modifier les prix pour changer le mix », met en évidence les disparités entre pays et dans les stades d’évolution des marchés de l’énergie. Si la « sécurité énergétique » est devenue une préoccupation au cours des dernières années, sa compréhension n’en est pas la même selon les pays.

Ainsi, le World Economic Forum 2013 de Davos a publié un rapport faisant référence à un « indice de performance du mix énergétique », l’EAPI. Les données de l’EAPI concernent principalement trois domaines : la croissance économique, l'accès sécurisé à l’approvisionnement, et la « soutenabilité » environnementale. 105 pays sont ainsi analysés. De façon surprenante, à part la Norvège qui est autosuffisante du point de vue énergétique, les pays qui ont obtenu le meilleur score sont tous importateurs, alors que les plus mal classés sont exportateurs nets. Cela signifie que l’autosuffisance énergétique n’implique pas que l'« architecture énergétique » du pays soit efficace. En d’autres termes, la sécurité énergétique ne consiste pas seulement à protéger l’économie, mais aussi à préserver l’environnement. La sécurité de l'approvisionnement énergétique doit en effet servir non seulement à l'économie, mais aussi à la préservation d’un environnement durable. Par conséquent, la réduction de la consommation de charbon en faveur du gaz naturel représente le choix le plus réaliste pour assurer la préservation durable de l'environnement, et c’est aussi la clé de la transition énergétique en Chine.

Le deuxième article de Chen Weidong, « Réduire le recours au charbon, accroître l’usage du gaz, réformer les prix », part de l’exemple américain. Aux États-Unis, dit Chen Weidong, le remplacement du charbon par le gaz a résulté d’une transition naturelle qui s’est caractérisée par l’augmentation de la production de gaz grâce à des prix compétitifs. Le même phénomène a pu être observé en Europe il y a un demi-siècle, et plus récemment dans des pays dépendant des importations pour subvenir à leurs besoins énergétiques, comme la Corée et le Japon.

La transition énergétique qui se fait « soi-disant naturellement » est le résultat des progrès de l’industrie de l’énergie et de l’interaction avec les consommateurs. Mais en Chine, l’ajustement est passif, car si c’est la constatation de la concentration de particules fines dépassant l’indice 2,5 qui en est principalement la cause, cela n’a pas empêché le retard considérable, difficile à rattraper.

Ce retard dans les réformes concernant l’énergie en Chine est lié à des problèmes de prix. La réforme récente des prix du gaz naturel – réforme limitée relevant les prix du gaz –, qui ne reflète pas la compétitivité de cette énergie, en empêchant d’établir un système de prix compétitifs, pénalise fournisseurs et importateurs. Le charbon est l’énergie dominante en Chine, constate Chen Weidong ; et, donc, c’est le prix du charbon qui sert de référence, sans qu’y soient intégrés tous les coûts induits. Cette différence de prix, parfois énorme, avec les énergies de remplacement constitue une « barrière naturelle » (天然屏障, tianran pingzhang) et un énorme obstacle à l'ajustement du mix énergétique.

Ainsi, le gaz naturel représente seulement 5 % de l’énergie primaire en Chine, ce qui est largement inférieur à la moyenne mondiale2. Ce n'est pas seulement que la Chine est à la traîne du développement des ressources naturelles, c’est aussi et encore une question de prix : alors que l’essence et le carburant destiné au diesel reviennent certes plus chers en Chine qu’aux États-Unis, le prix de détail est en moyenne équivalent, alors que le gaz naturel vaut quatre fois plus en Chine qu’aux États-Unis. Le prix de l’électricité constitue également un sérieux obstacle au remplacement du charbon par le gaz : mais ce n’est pas parce que les prix du gaz sont trop élevés, c’est parce que l’électricité est trop bon marché.

Le troisième article, « L’impasse du prix du gaz naturel », illustre ces réflexions en décrivant les réactions les plus récentes à cette situation. Depuis la fin juin, la NDRC a annoncé des programmes d'ajustement du prix du gaz. La province du Shaanxi, qui a mis en route un certain nombre d'installations GNL (gaz naturel liquéfié), s’en inquiète car, contrairement au passé, l'ajustement des prix peut être difficilement transféré vers l'aval. Ainsi, le 13 juillet 2013, un groupe parrainé par l’élite de l’industrie du GNL dans la province du Shaanxi (regroupant Zhongyuan, Ansai Oil, Natural Gas Co., Ltd, ou encore Jingbian Gaz) s'est réuni à Xi'an. La conférence a mis en place une association de l’industrie du GNL dans le Shaanxi. Les entreprises participantes se sont entendues pour communiquer sur l'impact des prix du gaz et proposer des contre-mesures. Selon l’auteur, ces mesures se sont avérées fructueuses puisque les prix du gaz ont été dans certains cas revus à la baisse3.

Mais l’opposition n’est pas venue exclusivement des entreprises nationales. Le journaliste de Caixin indique avoir reçu récemment un position paper de la Chambre de commerce européenne en Chine demandant à la NDRC d’ajuster les prix du gaz. Le groupe de travail de la Chambre de commerce européenne réunissant la pétrochimie, la chimie et le raffinage, maintient que les prix du gaz ont augmenté trop vite pour les entreprises installées en Chine et que ceci engendre un fardeau financier, qui n’a pas pu été pris en compte lors des décisions d'investissement dans les installations existantes ou concernant de nouvelles installations en cours de construction.

La hausse a donc un impact négatif sur les résultats de ces entreprises à capitaux étrangers. Pour certaines d’entre elles, les nouveaux prix du gaz naturel en Chine annulent tout avantage compétitif par rapport aux États-Unis, à l’Europe ou à de nombreux autres pays, et viennent remettre en cause jusqu’à leur rationnel d’investissement. Il demeure que l'attrait du marché intérieur chinois est toujours là, ce qui place les étrangers face à un véritable dilemme quant à leurs investissements dans le secteur.

Ces évolutions appellent, pour les entreprises chinoises et étrangères, des changements stratégiques importants, et réorientent l’activité vers la chimie du charbon. En témoigne la signature en 2013 d’un accord de coopération stratégique entre Sichuan Chemical et le groupe allemand Linde, concernant un investissement dans la construction d'un projet de gaz de charbon à Luzhou. Autre exemple, Liaoning Huajin Tongda Chemicals Co., Ltd a annoncé, en juillet dernier, un investissement de 3 milliards de yuans dans une usine d'engrais – qui constituerait la première tentative d'utilisation du charbon comme matière première pour produire de l'urée. Il s’agit là de contourner les difficultés créées par les prix élevés du gaz.

Autre conséquence de l’augmentation des prix, l’hiver dernier, la Chine a subi la plus grande pénurie de gaz de son histoire4, de façon totalement inattendue. D’ailleurs, cette année, le « déficit » en gaz pourrait atteindre 10 milliards de m3, ce qui contredit directement le plan air pur de Pékin pour 2013-2017 (北京市2013-2017年清洁空气行动计划) et le plan d'action pour la prévention de la pollution atmosphérique dans le Hebei (河北省大气污染防治行动计划). Le premier posait en effet pour exigence une réduction de la consommation pékinoise de charbon de l’ordre de 13 millions de tonnes en 2012, et le deuxième une réduction nette de 40 millions de tonnes. La NDRC de Tianjin a également annoncé une réduction totale de 10 millions de tonnes de la consommation. En 2012 Pékin a consommé 23 millions de tonnes de charbon, ce qui représentait 25 % de sa consommation totale d'énergie. Le développement du gaz naturel doit donc jouer un rôle important si l’on veut faire aboutir le projet. Six districts de Pékin ont mis en service des chaudières à gaz de houille permettant de réduire la consommation de charbon de 1,2 million de tonnes ; en 2016, l’ensemble du remplacement par du gaz de charbon devrait être mené à bien. Malgré cela, dans une Chine riche en charbon et pauvre en pétrole et en gaz, la restructuration du mix énergétique s’avère difficile.

Le petcoke, une nuisance importée des États Unis

L‘article de Yu Dawei se penche sur un phénomène nouveau, qui se développe très rapidement, celui de l’utilisation du petcoke5 (石油焦, shiyoujiao) ou coke de pétrole, produit dérivé de la pétrochimie. Habituellement utilisé comme revêtement, ce résidu, quand il est à faible teneur en soufre, peut être vendu aux aciéries ou contribuer à la production d'aluminium. À haute teneur en soufre, il ne peut être utilisé que dans les centrales électriques et les cimenteries comme combustible, à un coût moindre que le charbon.

Le Wall Street Journal du 15 octobre rapporte que sa production s’est popularisée avec l’importation par les raffineries américaines de bruts très lourds du Venezuela et du Canada, qui a multiplié la fabrication de sous-produits. Or, les dommages environnementaux causés par l’utilisation du coke de pétrole en limitent l’utilisation dans le marché américain. Un énorme marché d'exportation a donc été trouvé avec la Chine. Au premier semestre 2013, celle-ci a importé plus de 20 % du petcoke exporté par les États-Unis, pour un volume de 5,62 millions de tonnes, en augmentation de 52 % sur l’année.

Le reste de l’article met en évidence les dangers et les perversions liées à l’importation de cette ressource qui ne coûte rien à produire dans le pays d’origine (les États-Unis) mais se vend environ 800 à 900 yuans la tonne en Chine (l’autre grand débouché étant le Mexique), et présente par ailleurs de grands dangers en termes de dégagement de soufre, d’émission de produits cancérigènes, et ne démontre pas forcément une haute valeur calorifique.

Réformes choc pour le gaz, ou transition progressive vers un charbon « propre »

L’article le plus iconoclaste de la série, « La réforme du gaz passe par le développement des gazoducs », insiste sur « le droit à la parole » dont dispose la Chine en tant qu’acheteur majeur de matières premières liées à l’énergie, de la même façon que le Japon, autre pays largement déficitaire en termes énergétiques et qui achète près de 60 % du LNG exporté mondial. L’arrêt des centrales nucléaires japonaises n’a pas affecté la sécurité énergétique du pays, qui a pu continuer à bénéficier des mêmes prix pour ses importations d’énergie, malgré leur hausse, grâce à son poids important dans le paysage gazier international6. C’est donc sur cet exemple que l’article invite à méditer, en capitalisant sur l’idée qu’une politique fondée sur le développement des réseaux de gazoducs et reposant sur le rôle joué par les trois grandes compagnies pétrolières chinoises. Cette stratégie permettrait d’équilibrer les prix et le rapport entre l’offre et la demande.

L’article propose également une série de réformes tout à fait drastiques et révolutionnaires en matière de gaz : le regroupement des activités gazières des trois grandes sociétés pétrolières, la dérèglementation du secteur du gaz pour permettre aux sociétés de taille moyenne d’accéder non plus seulement au midstream mais aussi à tous les niveaux de l’exploitation et de la distribution du gaz, et la mise à la disposition des exploitants de tous les types de gaz des réseaux de gazoducs existant et destinés à être développés à l’avenir.

Le dernier article, « Guérir de la maladie du charbon », prend acte de la domination du charbon dans le secteur de l’énergie en Chine et du fait que cette situation n’est pas destinée à changer rapidement. Il rappelle que l’utilisation du charbon est la raison principale des problèmes de pollution en Chine. Sans initiative publique forte pour changer le mix énergétique chinois, la recommandation consiste donc à se tourner activement non pas nécessairement vers les énergies alternatives, mais vers le développement de techniques de charbon propre. Dans la mesure où les expériences menées en particulier dans la région de Shanghai ont démontré que les chaudières de grande taille utilisées dans l’industrie, ainsi que les techniques de désulfuration, de dénitrification et de lavage du charbon permettaient d’obtenir des résultats particulièrement probants en matière de dépollution, et même meilleurs en termes de ratio d’émissions rapportées à la surface occupée que dans d’autres pays utilisateurs de charbon. L’article va dans le sens d’un réalisme permettant d’insister sur les nouvelles techniques de charbon propre plutôt que sur des stratégies irréalistes d’abandon trop rapide de l’énergie dérivée de l’utilisation du charbon.

Sources

  • Chen Weidong (7), « Modifier les prix pour changer le mix », Xinshiji - New Century, n° 51, 31 décembre 2013.
  • Chen Weidong, « Réduire le recours au charbon, accroître l’usage du gaz, réformer les prix », Xinshiji - New Century, n° 40, 21 octobre 2013.
  • Zhang Boling, Huang Kaixi (8), « L’impasse du prix du gaz naturel », Xinshiji - New Century, n° 41, 28 octobre 2013.
  • Huang Kaixi, « Trop peu de gaz pour réguler “le brouillard” », Xinshiji - New Century, n° 45, 25 novembre 2013.
  • Yu Dawei (9), « Le casse-tête de l’importation du petcoke, Xinshiji - New Century, n° 41, 28 octobre 2013.
  • Fan Bi (10), « La réforme du gaz passe par le développement des gazoducs », Xinshiji - New Century, n° 2, 13 janvier 2014.
  • Zhang Xia (11), « Guérir de la maladie du charbon », Xinshiji - New Century, n° 2, 13 janvier 2014.

 

Notes

  • (1) Et notamment Chen Weidong. Le chercheur chinois, régulièrement rencontré par les équipes « énergie » d’Asia Centre à travers l’IWEP (Institute for World Energy and Petroleum), lié à la CASS (et à la compagnie pétrolière CNOOC, ce que mentionne sa carte de visite...), se montre bien plus critique à l’égard de la stratégie énergétique chinoise dans ses articles pour Xin shiji que lors de nos rencontres à l’occasion de séminaires.
  • (2) 40 % de ce gaz est destiné à la consommation domestique, et 17 % à la production d’énergie. Mais le gaz produit seulement 2 % de l’électricité, contre 78 % pour le charbon.
  • (3) À titre d’exemple, avant la décision de la NDRC, les prix du GNL pour les usines se situaient à 4 400-4 700 yuans/tonne (environ 3,00 à 3,20 yuans/m²). Après la publication de l’avis, c’est-à-dire à compter du 1er juillet, les prix ont été relevés à 5 200 yuans/tonne, en augmentation de près de 20 %. Mais les initiatives du groupe ont permis que ceci ne durât pas longtemps. En démontrant que l'ampleur des hausses de prix aurait un impact insupportable pour les utilisateurs en aval, et que les commandes seraient réduites drastiquement, le groupe a permis que les prix soient rétablis à environ 4 800-5 000 yuans/tonne.
  • (4) Due à des niveaux de production trop bas, en raison des difficultés rencontrées par les producteurs à la suite de la hausse des prix du gaz décrétée par la NDRC.
  • (5) Ou « coke dérivé du pétrole ». Il est obtenu par un procédé d'amélioration des coupes très lourdes de pétrole (en général les résidus de la distillation sous vide), la cokéfaction, qui permet d'en extraire des hydrocarbures légers (essence, kérosène, diesel, etc.), Le coke de pétrole se présente sous forme solide, noire, et se compose majoritairement de carbone (teneur supérieure à 80 %), avec très peu d'hydrogène et des quantités importantes de polluants (soufre, métaux lourds, etc.).
  • (6) Il est à noter néanmoins que, si cet arrêt n’a pas affecté l’approvisionnement japonais ou la sécurité énergétique du pays, il a mené à l’établissement d’un mix énergétique domestique beaucoup plus coûteux au final, qui pèse sur la balance commerciale et nuit à la compétitivité japonaise.
  • (7) Chercheur senior à l’institut de recherche économique et énergétique de la China National Offshore Oil Corporation.
  • (8) Tous deux journalistes à Caixin.
  • (9) Journaliste à Caixin.
  • (10) Chercheur invité au centre de recherche chinois d’échanges internationaux sur l’économie.
  • (11) Journaliste à Caixin.

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Asia centre

Asia Centre Fondé en août 2005 par François Godement et une équipe de chercheurs et experts de l’Asie contemporaine, Asia Centre a pour objectif de conduire des recherches sur l’Asie contemporaine, d'organiser des débats et de valoriser, par des publications, les résultats de ces recherches et rencontres.